« Un lieu pour lire quand tout crame. » Je me suis senti hyper futé quand j’ai trouvé le sous-titre de ce blog. Et puis, tout a cramé. Je me suis trouvé impuissant, frustré, enfermé dans une prison d’angoisses. Entre l’actualité et la vie qui décide de s’écrouler au pire moment, je me suis effondré. Et dans ma tête, une question : comment lire quand tout crame ?
Ferme les yeux, sois heureux
Comment lire quand tout s’effondre ? Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, la lecture ça tabasse. C’est pas vraiment le truc tranquille et chill que tout le monde m’a vendu. La lecture c’est tempête dans un crâne. Sans compter que la lecture c’est le silence, le silence la solitude, la solitude c’est l’angoisse. La lecture c’est ce putain de bourdonnement dans mon oreille que j’entends trop. J’ai été un peu présomptueux de penser que je pouvais lire avec en fond le bruit des flammes. Parce qu’avec les flammes il y a les bombes, avec les bombes il y a les cris, avec les cris il y a les cadavres.
Des cadavres qui s’empilent sur mon fil Instagram depuis le 7 octobre. Un génocide filmé dans l’indifférence des puissants. Des corps trop petits pour être froids et inertes. Des regards voilés dans la peur et la confusion. Des flammes, des bombes, des cris, des cadavres. Tellement de cadavres. Comment ? Comment lire quand tout crame ?
Je ne revendiquerai jamais le droit à l’indifférence. Cette réalité est la notre et notre regard y fait face. Pourtant, sur la bookosphere, le silence a été la règle. Ferme les yeux, sois heureux, on te dit. J’ai le droit de me taire. Pas de politique. Le livre est une « safe place ». Et voilà une expression très politique désignant un lieu où les personnes marginalisées sont à l’abri des discrimination, dépolitisée en nouveau cocooning thé pâtisserie pour influenceureuse privilégiée. Ferme les yeux, sois heureux. Prend ta trace, oublie que le monde crame en 250 pages.
Safe place dans ta gueule
Un lieu pour lire quand tout crame. Ce n’était pas dans ma tête un appel à l’évasion pour oublier que le monde crame. Le monde crame. Et nous avec. Je n’ai jamais pensé que la lecture pouvait être autre chose que politique. Bordel, même putain de Peppa Pig est politique. Réveillez-vous un peu non ?
Ta romance : politique. La représentation (ou non) des personnages féminins, queers ou racisés dans le livre de ton gamin : politique. La surreprésentation de personnages blancs, cigenres, hétérosexuels et bourgeois dans la littérature française et tes putains de romans feel good : po-li-tique. Si tu fermes les yeux dessus, c’est que tu fais un peu partie du problème. Où que tu n’as pas fait l’inventaire de tes privilèges. Personnellement, je ne peux pas oublier que je suis queer, neuroatypique, et pauvre. Tout est politique quand on vit dans une réalité où tout est fait pour que l’on trébuche.
Vous savez quelle lecture me fait du bien ? Je me sens bien quand Becky Chambers me montre qu’un futur sans capitalisme est possible. Je pleurs quand Margaret Killjoy me parle d’une utopie anarchiste où solidarité et entraide ne sont pas de la fiction. Je souris quand Travis Baldree m’écrit que l’on ne peut rien accomplir seuls et que le collectif a du coeur. Je retrouve le goût de vivre quand Romain Delplancq me rappelle que tout ce qu’ils ont, ils l’ont volé, et que l’on peut leur reprendre.
On ne peut pas lire les yeux fermés
Sodome & Gomorrhe est politique. C’est rester debout sous le déluge. C’est relever la tête et affronter la réalité. Par la lecture. Ce n’est pas l’évasion, ce n’est pas s’échapper de cette réalité et oublier qu’elle existe. Sodome & Gomorrhe est dans ce monde et ce monde crame. Dans la lecture nous n’y trouverons pas d’évasion, mais les clés d’un meilleur futur et les armes pour combattre.
Alors, comment lire quand tout crame ? En n’oubliant pas que lire n’est pas un aveuglement. Que lire ce n’est pas fermer les yeux, c’est les ouvrir autrement. En n’oubliant pas que les flammes sont aussi dans nos livres, et que nos livres sont des armes. Que le bonheur est politique et qu’il s’arrache. Que le livre est un combustible, et qu’il crame.
On se relève.
Viktor Salamandre
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