Dans ce troisième et dernier volet de Capitale du Nord, Claire Duvivier interroge notre capacité à faire société. Sommes-nous de simples pions au service d’une cause qui nous dépasse ? Ou alors les acteurs de nos propres destins ? Conclusion épique au désormais incontournable cycle de la Tour de Garde, L’armée fantoche n’oublie pas de nous toucher en plein cœur.
Fuyant le chaos de Dehaven, recherchés par les autorités de la ville, Amalia et Yonas échouent à la Tour de Garde. Avec d’autres exilés ils en font un refuge pour tous ceux qui fuient la répression ou la guerre. Amalia ne peut cependant pas oublier que le héraut des tréfonds menace l’équilibre du continent entier. Une partie de Tour de Garde, commencée il y a des siècles, doit être terminée. Mais Amalia a-t-elle les armes et le caractère pour gagner cette bataille, et mettre fin à la guerre ?
Faire un pas vers l’autre
Le parcours d’Amalia dans cette trilogie de la Capitale du nord est plus qu’une prise de conscience politique. Éduquée dans un esprit rationnel froid et stratège, Amalia est confrontée dès le début aux limites de ce fonctionnement. En découvrant les tréfonds, qu’elle nomme Nevahed (inverse de Dehaven), elle doit remettre en question tout ce qu’elle a appris. La magie existe, et révèle ses lacunes : elle qui a toujours appris à mépriser les légendes va devoir les apprendre.
Cette prise de conscience devient plus politique dans le deuxième volet. En cavale, elle doit se mêler aux quartiers populaires pour se cacher des autorités. Elle découvre alors ce que sa classe refuse de voir : un peuple épuisé au bord de la révolte.
Arrivée à la Tour de Garde, Amalia est perdue. Elle a perdu ses illusions et porte la culpabilité de l’échec de la conjuration du Solstice. En voulant apprendre la magie afin de se préparer à confronter le héraut des tréfonds, elle bute sur ses limites émotionnelles. Le détachement qui l’habite est en effet l’arme de son ennemi. Mais comment apprend-on à aimer ? Comment faire ce pas vers l’autre, qui est finalement un saut dans le vide ?
L’armée fantoche était dans la tombe
Une menace plane sur le continent entier. Une armée gigantesque, se déplaçant entre les mondes, dévastant tout sur son passage. Des rumeurs de villes détruites ainsi que de populations massacrées bruissent dans tout le cycle. Cette armée se révèle enfin au grand jour. Une armée « fantoche », composée de corps réduits au rôle de pions par les marionnettistes qui les manipulent en secret.
Colons de Dehaven, soldats, populations indigènes, notables envoyés en négociations… Cette armée zombie est aussi la mauvaise conscience de Dehaven. Le fruit de ses erreurs qui lui reviennent comme un boomerang. L’autoritarisme, la colonisation, l’inégalité profonde d’une société de classe qui refuse d’évoluer. Tout cela a indirectement donnée naissance à cette armée de l’ombre. Une armée déshumanisée réduite à servir froidement les entités occultes qui jouent depuis des siècles la plus importante partie de Tour de Garde.
Face à cette horde sans âme, le sort de Dehaven est entre les mains d’Amalia. Confrontée au détachement froid des pions de l’armée fantoche, Amalia se rend compte qu’elle ne peut pas battre le héraut avec ses armes. Elle doit en effet apprendre à penser autrement. L’humain est complexe, et sa part d’irrationnel, sa part imprévisible, est précisément l’angle mort qui lui échappe. C’est la part qu’elle ne peut prévoir si elle n’apprend pas à comprendre les autres. Si, finalement, elle n’apprend pas l’empathie.
Achever la Tour de Garde
Cette troisième partie de Capitale du Nord a deux lourdes tâches : achever la trilogie, mais aussi le cycle entier de La Tour de Garde. Dénouer tous les nœuds, résoudre les énigmes, expliquer les derniers mystères. Car si les deux trilogies peuvent se lire indépendamment l’une de l’autre, il est conseillé de lire les deux. Bien sûr, vous pouvez les lire l’une après l’autre. Mais je conseille chaudement la lecture alternée, en commençant par le premier tome de Capitale du Sud. Seul ce mode de lecture vous permettra de saisir toute la subtilité des interactions entre les deux trilogies.
Alors, finalement, c’est quoi la Tour de Garde ? Une utopie, un rêve d’enfant, un lieu de refuge pour tous ceux qui fuient. Mais aussi le juste milieu. Un refuge qui refuse à la fois l’hédonisme égoïste de Gemina et le capitalisme froid et colonialiste de Dehaven. En d’autres termes : une place pour chacun, un lieu pour tous. Enfin débarrassés des dominations, des seigneurs et des nobles, des guerres et des armées, un espace de paix où s’épanouir. Un lieu où Amalia peut apprendre l’amour ?
Cette conclusion, épique, referme avec émotion une saga qui marquera la fantasy française. Y a-t-il seulement quelque chose de comparable ? Deux trilogies écrites en parallèles, qui se répondent, qui s’interrogent, qui se complètent. Et pourtant, deux trilogies qui se suffisent à elles-mêmes. L’armée Fantoche referme ce cycle dans un rythme effréné, plein de bruit et de fureur, sans pour autant oublier de nous enseigner que pour gagner à la Tour de Garde, il faut y jouer avec humanité.
Bonne lecture,
Viktor Salamandre.
L’armée fantoche, Capitale du Nord tome 3, Claire Duvivier, Aux Forges de Vulcain, 22€
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