Avec Les contes suspendus, Guillaume Chamanadjian apporte à sa trilogie Capitale du Sud et au cycle de La Tour de Garde une conclusion éclatante. Un roman brillant, émouvant, profond, qui interroge la puissance symbolique des contes et la transmission de valeurs collectives. Un pied dans l’utopie, un autre dans l’aventure, embarquez sans attendre dans ce voyage sans retour.
Dans ce troisième et dernier tome de Capitale du Sud, Nox arrive enfin à la Tour de Garde. Fuyant la guerre civile qui fait régner le chaos et la terreur à Gemina, accusé du meurtre de deux ducs, Nox espère bâtir en ce lieu un havre de paix. Une véritable utopie à construire alors qu’une bataille souterraine et secrète fait encore rage, et pourrait bien les rattraper.
Vers la conscience collective
Le parcours de Nox aura été de sortir de sa seule conscience individuelle pour développer une conscience collective. Et les enjeux de ce dernier tome le montrent : il concrétise cette conscientisation en construisant une utopie pour tous les laissés pour compte. Il veut bâtir un lieu de paix sans noble ni seigneur, sans duc ni serviteurs, où chacun aurait sa place et pourrait s’accomplir.
L’accomplissement individuel par le collectif, c’est précisément l’inverse de ce que propose Gémina. On ne se réalise pas en écrasant les autres, au détriment du collectif. On se réalise avant tout en réalisant l’importance du bien commun. Vivre en laissant à l’autre l’espace nécessaire pour s’épanouir, une notion qui n’est pas sans rappeler les « cimes timides » de Becky Chambers.
Et c’est avant tout parce que Nox est un poète, un rêveur. S’il cherche l’épanouissement, la paix et la tranquillité pour lui-même, il ne peut pas les trouver au détriment des autres. On a beau lui dire que son projet est un rêve d’enfant, qu’il n’est pas réaliste parce que l’être humain serait trop cupide et égoïste, il tient bon. Il croit en l’autre, et surtout : il croit au pouvoir des histoires.
La puissance des contes
Capitale du Sud résonne de ces contes. L’Histoire de Gemina est un conte. Sa société entière est bâtie sur leur puissance symbolique. Dans Capitale du Sud, Guillaume Chamanadjian nous rappelle l’importance des mythes et leur puissance symbolique dans les fondations de toute civilisation. Une puissance qui peut être autant bâtisseuse que destructrice.
Les contes et les histoires sont au coeur de la construction de cette trilogie. Ils nourrissent la réalité de Gemina autant que les événements nourrissent les contes. La mort, dans l’opus précédent, d’Adelis, une jeune réfugiée, et sa métamorphose en olivier est déjà source de légendes, et porte en elle une puissance symbolique qui influence en profondeur la société geminienne.
Finalement ce dont on parle, c’est de la transmission. Les contes sont porteurs de symboles, de valeurs, qui questionnent les esprits, façonne les consciences et les peuples. Leur puissance est collective. C’est par sa répétition, son passage de bouche à oreille, d’écriture en réécriture, que le symbole devient valeur collective. Et c’est précisément le pari de Nox. La Tour de Garde est une utopie, une histoire, une fiction, mais si on la répète assez, on peut concrétiser l’espoir qu’elle représente.
Une fin qui fera date
Les maisons d’édition et les auteurices le savent, publier des sagas, c’est compliqué. Parce que plus on avance, moins les opus se vendent. La publication de La Tour de Garde par les éditions Aux Forges de Vulcain est d’autant plus audacieuse : deux auteurices, deux trilogies parallèles, une seule saga. Avant même de se plonger dans la lecture, on doit admettre que l’ambition est là. Reste à savoir : cette saga tient-elle la longueur ?
La réponse est éclatante : oui, oui, OUI. La fin parfaite existe-t-elle ? Si elle existe elle est là. Il serait complètement idiot de commencer la trilogie pour ne pas arriver à ce sommet de maîtrise. Tous les noeuds sont dénoués, toutes les questions sont répondues (pas vite, mais il faut savourer le chemin, c’est pas la start up nation ici), je n’ai jamais, je crois, été aussi satisfait par la fin d’une saga. C’est brillant, la construction du récit, le rythme, les personnages, tout est d’une maîtrise assez stupéfiante.
Les contes suspendus est une conclusion forte et émouvante à Capitale du Sud. Parce que finalement, au-delà de la maestria du récit, la puissance symbolique des contes, des histoires, la possibilité de l’utopie, les valeurs collectives portées par ce peuple de la Tour de Garde, nous touchent profondément. On aimerait y participer, à ce havre de paix, de solidarité, au moment même où nos sociétés se sclérosent et se figent parce que, peut-être, elles cessent d’écrire de nouveaux contes, et de transmettre de nouveaux espoirs.
Bonne lecture,
Viktor Salamandre.
Les contes suspendus, Guillaume Chamanadjian, éditions Aux forges de Vulcain, 22€
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