De quoi sont faites les légendes ? Les contes, ces histoires qui se baladent de bouche à oreille au bord des routes, se transforment au grès des voyages, se divisent, fusionnent, pour former cette brume mystique qui composent nos rêves. De quoi sont faites les légendes ? Nghi Vo propose, avec Les archives des Collines-Chantantes, d’explorer les mystères derrière les histoires qu’on se raconte au coin du feu. En savourer la poésie, et en décrypter le mensonge.
L’adelphe Chih est archiviste à l’abbaye des Collines-Chantantes. Il/elle parcourt les routes à la recherche des histoires derrière les histoires. Accompagné de Presque-Brillante, un oiseau à la mémoire infaillible, il/elle creuse derrière les récits afin d’approcher la vérité que cache la rumeur.
Le récit que l’on cache
Dans L’impératrice du Sel et de la fortune, l’adelphe Chih et Presque-Brillante se rendent dans un palais impérial seulement occupé par Lapin, une vieille domestique jadis vendue au palais par ses parents et qui fut au service de l’impératrice In-yo. À travers les objets qui habitent et hantent le lieu désert, elle leur raconte l’Histoire cachée de l’impératrice. Une histoire pleine de sang, de larmes, de batailles, d’exil, mais aussi d’amitié et d’amour interdit.
C’est un récit qui vous emporte doucement. Un récit caché. Un récit que l’on est pas censé raconter. Il est apocryphe : il n’est pas le récit officiel. Bribe par bribe, Chih recompose la véritable histoire de l’impératrice. La vérité derrière la sentence. L’émotion derrière le masque froid du pouvoir. À la manière d’une voyante, Lapin lui propose un récit en forme d’énigme, objet par objet, toute une histoire à recomposer.
Enfin, peu à peu l’émotion apparaît. Le tragique d’un destin brisé mais aussi l’amitié, l’amour, et le réconfort que la présence rassurante d’une amie peut représenter.
Le récit qui divise
Dans Quand la tigresse descendit de la montagne, l’adelphe Chih se rend dans les montagnes, à dos de mammouth. Trois tigresses amatrices de contes et de poésie leur tend alors une embuscade, bien décidées à les dévorer. En parlementant pour sauver leur peau, Chih évoque un récit ancien. Celui d’une lettrée nommée Dieu, et de sa relation houleuse avec une tigresse nommée Ho Thi Thao. Interpellée par ce nom, la plus âgée des tigresse lui demande de raconter sa version de l’histoire mais prévient : si ça ne lui plaît pas, Chih et ses comparses seront mangés.
À première vue, le récit est ici plus tendu, Chih avançant avec prudence sur un fil : raconter la version qu’elle connaît de l’histoire sans savoir par avance quels sont les points d’achoppement. Quand va-t-il provoquer l’ire de la tigresse ? Pourront-t-ils y échapper ?
En avançant, Chih se rend compte de la complexité de la tâche. Il lui faut en effet trouver la vérité derrière une histoire sensible, une relation complexe, des sentiments souvent contradictoires et refoulés. Alors il faut gratter les points douloureux, refaire saigner les plaies, faire dialoguer les points de vue. Avec en surplomb le risque que la colère éclate et emporte tout.
Le récit décomposé
Entre les méandres commence dans une taverne. L’adelphe Chih y déjeune en compagnie de Presque-Brillante quand une bagarre éclate. Une mystérieuse inconnue vient défendre une serveuse malmenée par un client agressif. Presque-Brillante en est certain : ce style de combat est celui de l’école des Singes du Sud, qu’il pensait disparue. Chih et l’oiseau proposent à la valeureuse et sa soeur de voyager quelques jours ensemble dans les méandres du fleuve Huan. Guidés par un couple connaissant la région, leur voyage sera ponctué de récits de brigands, de bandits, de légendes de sectes éteintes et d’histoires de fantômes.
Chih est à l’écoute des récits qu’on lui conte tout le long du voyage. La route est périlleuse et parsemée de légendes. Les méandres du fleuve Huan est une région pleine de mystère et de danger. Et au coeur des forêts sombres se cachent les souvenirs violents d’un autre temps. Mais ce temps est-il vraiment passé ? En parcourant le chemin, le petit groupe va en effet rencontrer en chemin des vestiges bien vivants du passé. Ou est-ce seulement la pâle imitation de légendes déformées par les années ?
D’ailleurs, ces légendes sont-elles si différentes ? Au fur et à mesure que les récits s’empilent, un soupçon naît : celui d’une réalité commune à toutes ces histoires de bandits de grand chemin et de sectes d’assassins. Comme une décomposition en kaléidoscope. On ajoute ici un fantôme, ici une histoire d’amour. Ici de l’héroïsme et des batailles. Mais qu’est-ce qui les relie ? De quoi sont faites les légendes ?
Fragments d’archives
Avec Les archives des Collines–Chantantes, Nghi Vo envoûte, mais aussi déstabilise. Des récits morcelés, des fragments de contes, des bouts de légendes composent ces trois novellas pleines de poésie et de mystère. Chih, qui utilise tour à tour le pronom il et elle, est notre guide dans les méandre de la mémoire collective. De quoi sont faits les récits que l’on colporte de ville en ville, et qui se transforment de bouche en bouche. Combien de versions a notre histoire ? Combien d’interprétations ont nos souvenirs ? Autant, probablement, que de personnes que l’on croise au cours d’une vie. Autant de points de vue parfois contradictoires sur les faits qui nous marquent et qui nous construisent. Lire Les archives des collines–chantantes, c’est explorer les angles morts, éclairer les coins sombres, et tenter d’y débusquer la vérité sans en écorcher la poésie.
Bonne lecture,
Viktor Salamandre
Les archives des Collines-Chantantes, Nghi Vo, trois volumes parus, éditions L’Atalante.
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