Aventure fantasy ou dépaysement SF ? Avec Le Dernier des Aînés, paru dans la collection Une Heure Lumière chez Le Bélial’, Adrian Tchaikovsky brouille les pistes. Un roman captivant qui fait dialoguer les genres et questionne nos perceptions. Afin de trouver une terre commune ? Attention cependant : le voyage sera sans retour.
Lynesse Quatrième Fille, princesse du royaume de Praimesite, s’est investie d’une mission : aller réveiller le Nyrgoth l’Aîné, puissant sorcier, afin de combattre le terrible démon qui provoque l’exode des populations de l’Ordibois. Nyrgoth, de son vrai nom Nyr Illim Tevitch, est un anthropologue terrien envoyé il y a des siècles sur la planète Sophos 4 afin d’en étudier – sans interférer – la population.
La Paix entre les nerds
Dans l’épisode de Phinéas & Ferb « Nerds of a Feather », les deux frères résolvent une bataille millénaire entre fans de SF et férus de Fantasy. En lisant Le Dernier des Aînés, j’ai eu le sentiment qu’Adrian Tchaikovsky avait accompli le même miracle. En effet, à travers un récit aux points de vues alternés, il fait dialoguer les deux genres et interroge leurs frontières. Sont-elles si imperméables ?
D’un côté, nous avons Lynesse, elle est la fantasy. Son monde est un monde de contes, de légendes, d’héroïsme, et porte un sens aigu de la justice. Elle porte sa mission comme une quête, qui va être pour elle un moyen de grandir, non seulement pour elle mais également aux yeux de sa mère, qui ne la considère que peu.
De l’autre, Nyrgoth l’aîné, ou Nyr, il est la science fiction. Anthropologue terrien, humain augmenté, il parle de systèmes, de satellites, de machines, de science. Il est un voyageur intergalactique, endormi depuis des siècles dans le cadre de sa mission, n’a plus aucune nouvelle de ses pairs.
Ainsi le roman commence comme une tentative de trouver un terrain commun pour se comprendre. Lynesse croit en la magie, Nyr en la science. On est d’ailleurs témoin de la frustration de ce dernier quand il essaye de faire comprendre à la princesse intrépide que la magie n’existe pas, qu’il n’est pas sorcier, et qu’il n’a pas de remède magique pour se débarrasser sans effort du démon qui les occupe.
Une question de perception ?
La troisième loi dictée par l’écrivain Arthur C. Clarke dit : « Toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie. » Est-ce donc une question de perception ? Adrian Tchaikovsky est malin : il télescope cette loi à tous les niveaux de son récit.
Parce que finalement, Nyr et Lynesse parlent de la même chose. Mais est-ce une histoire de vocabulaire ou, plus complexe, une différence de compréhension du problème? Et bien, c’est précisément l’enjeu de la quête. Nyr ne sait pas à quel mal il va être confronté. Et parce que Lynesse lui parle de démon, de voleur d’esprit, de magie, de mystérieuse épidémie, il est incapable de commencer à se préparer. Il est finalement tout aussi désarmé que la princesse.
C’est leur entente même qui est en jeu. Alors qu’il lutte contre l’anxiété et la dépression, il supprime ses émotions à l’aide d’un « Système de Dissonance Cognitive » qui lui permet d’être plus réfléchi et logique. Mais vu de l’extérieur, cette impassibilité passe pour la force d’esprit d’un sorcier millénaire, et renforce précisément l’idée fausse que Nyr voudrait effacer.
Et par-dessus cette lutte pour sa santé mentale (ou contre ses « démons »), il bataille pour résoudre un dilemme morale. En tant qu’anthropologue, il ne devrait pas intervenir. C’est même la première règle. Ne bouleverse-t-il pas trop la population locale en faisant intervenir sa technologie ? Ne sabote-t-il pas les résultats de ses propres travaux ? Là encore la troisième loi de Clarke vient interroger ses actions : si sa technologie est perçue comme de la magie, son intervention est-elle si grave?
Un terrain commun
Pour tout dire, cette novella pourrait être un excellent épisode de Doctor Who : si vous êtes fans de la meilleure série britannique de tous les temps (je ne fais pas les règles), les questionnements et émotions qui traversent ce livre ne vous seront pas étrangers. Adrian Tchaikovsky trouve, avec Le dernier des Aînés, le terrain commun. Une lecture captivante, une aventure passionnante, qui réunit en un court roman « the best of both worlds ». On peut savourer d’un côté l’aventure héroïque, la quête initiatique avec une héroïne courageuse et éprise de justice, et en même temps la réflexion scientifique et les questionnements moraux d’un anthropologue post-humain venu de l’autre bout de la galaxie. Un véritable envoûtement (où de l’ivresse, c’est selon).
Bonne lecture,
Viktor Salamandre
Le Dernier des Aînés, Adrian Tchaikovsky, éditions Le Bélial’, 11,90€
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