Avec Bluebird, publié aux éditions ActuSF, Ciel Pierlot signe un space opéra plein d’action, emmené à la vitesse de la lumière par un trio de personnages féminins badass. Mais derrière le divertissement réussi se cache un roman queer qui explore avec finesse les questions décoloniales.
Space Opera Queer
Depuis des siècles, trois factions se livrent une guerre interminable et mettent la galaxie à feu et à sang. Les peuples, grands perdants de ce conflit, sont résignés à servir la faction qui les a colonisés. Seule une poignée de réfractaires s’organisent pour lutter contre leur oppresseur. Rig a déserté sa faction il y a trois ans, en dissimulant les plans d’une arme secrète qui pourrait sonner le glas de son peuple. Un jour, son ancienne faction lui pose un ultimatum : les plans contre la vie de sa soeur jumelle. Le dilemme est cornélien, la mission impossible. Va-t-elle réussir à faire un choix ?
Honnêtement, quand j’ai lu « Han Solo par Becky Chambers » dans la communication de Bluebird, j’ai été intrigué. Du space opéra, de l’action, une dystopie coloniale, une romance saphique, et les bibliothécaires au sommet de l’échelle social ? Dans le mille. Je n’ai pas vraiment trouvé Becky Chambers, plus posée et contemplative selon moi, mais je ne regrette pas une seconde d’avoir plongé à corps perdu dans cette petite brique, qui se lit quasiment d’une traite. Voilà un premier roman qui ne perd pas une seconde et nous emmène dans une aventure tambour battant dont l’action ne nous laisse aucun répit.
Les personnages ? Rig, lesbienne de l’espace entre Gideon la neuvième et Lisbeth Salander, irrévérencieuse, insolente, tête brûlée, grand coeur et grand courage. June, sa petite amie, bibliothécaire érudite qui n’est jamais mieux qu’au milieu de ses livres. Et bien sûr Ginka, mystérieuse chasseuse de prime qui l’épaulera mais cache un grand secret. Toutes embarquées dans un complot qui les concerne toutes trois très intimement.
Décoloniser les esprits
Mais à travers ce complot, à travers cette aventure, se dessine des problématiques plus profondes. Rig et Ginka n’appartiennent pas au même peuple, colonisés par les factions qui se partagent la galaxie comme un gâteau. Pourtant, les deux n’ont pas le même rapport à cette colonisation. On s’aperçoit bien vite que la plus grande conquête de ces empire sont les esprits colonisés.
Rig est une rebelle. Elle a fui sa faction, emporté avec elle les plans d’une arme stratégique, et oeuvre dans la galaxie pour restituer à son peuple les trésors pillés par ses oppresseurs. À travers ces trésors, ces bijoux, ces oeuvres, elle cherche à reconstituer une Histoire, une identité, une culture. Il faut recoller ce qui a été brisé, réparer ce qui a été détruit, et retrouver la mémoire.
Ginka, elle, est une servante loyale de sa faction. En effet, elle a subi sans broncher toutes les tortures et sévices infligées par sa faction et qui n’ont pas ébranlé sa loyauté. Et même si une histoire d’amour semble avoir fait vaciller ses convictions, elle reste une fidèle à l’empire qui a colonisé les siens. Donc forcément, faire équipe avec l’insolente Rig ne sera pas chose aisée, tant elle semble déterminée à décoloniser l’esprit de Ginka.
La loyauté ou la mort ?
Alors, à qui accorder sa loyauté ? Est-il sain de vouer une confiance aveugle à un empire, ou même seulement à une personne ? La loyauté n’est-elle pas une confiance forcée, biaisée, induite par un rapport de force ou de domination ? Bluebird s’attaque à toutes ses questions avec finesse. Un formidable Space Opera décolonial, queer, plein d’action et de personnages inoubliables. Finalement, le meilleurs des deux mondes : incroyablement divertissant et subtilement profond.
Bonne lecture,
Viktor Salamandre.
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