Dans une préface où elle ne mâche pas ses mots, Estelle Faye déplore les clichés qu’on lui assène quand elle ose dire qu’elle écrit de l’horreur. Le constat est pourtant simple : peu de collection d’horreur dans l’édition française, souvent des textes traduits, et quasiment exclusivement des hommes. Nous parlons depuis les ténèbres, Anthologie de nouvelles d’horreur, de gothique et de fantastique sombre est, aux éditions Goater, une réponse éclatante à chacun de ces clichés. Dix nouvelles, dix autrices, dix points de vue différents sur la part sombre de la littérature.
Nouvelle, je t’aime
J’ai toujours aimé les anthologies, particulièrement dans l’horreur. Au cinéma, je pourrais citer « Creepshow », « Nightmare Cinema » et « The Mortuary ». En série, « Creepshow » (et oui, aussi) « Into the Dark », « The Twilight Zone ». Des collections d’histoires courtes qui explorent la part sombre du monde, la part cachée de notre imagination, et qui tâtonnent fébrilement dans l’obscurité.
Je ne sais pas si c’est purement français, mais la forme courte en littérature est souvent boudée. Libraire, je ne comptais plus les moues boudeuses des clients quand je leur proposais un recueil. Ou les moqueries sur les romans de Nothomb, jugés de plus en plus courts. L’hésitation face à une novella. Comme si était installée l’idée que seul le pavé est respectable. D’ailleurs, si l’on écoute la bourgeoisie culturelle et médiatique, pour être installé chef d’oeuvre de la littérature il faut aussi pouvoir servir d’arme létale. Ulysse, Belle du seigneur, À la recherche du temps perdu, et j’en passe, comme si la qualité du bouquin se mesurait comme un concours de bites. Un chef d’oeuvre doit être lourd, impressionnant, et inaccessible (et écrit par un homme, aussi).
Pourtant quand on parle d’horreur, la forme courte joue en faveur du genre. Parce que la peur et l’angoisse vient de l’inconnu, de ce qui reste dans l’ombre ou seulement suggéré. La peur vient des non-dits. De ce qu’on découvre peu à peu, dans un frisson captivé. La nouvelle d’horreur, bien menée, est un uppercut.
Atmosphère, atmosphère
C’est Aurélie Wellenstein qui ouvre les hostilités avec Petite soeur des fauves. Une nouvelle de fantasy sombre à l’univers apocalyptique poisseux où règne la terreur, la maladie et la cruauté. Une masterclass où l’horreur se dévoile petit à petit en même temps que ce monde dévasté.
Mais vous apprécierez aussi Planète 9, de Floriane Soulas. Une nouvelle de Science Fiction dans laquelle une femme se réveille désorientée dans un vaisseau étrangement silencieux. Ou encore La boutique de Barbara Cordier, une histoire de sucreries qui tourne à l’obsession, une merveille d’escalade narrative maîtrisée de bout en bout. Enfin, Estelle Faye conclut avec La célébration de la mer, une histoire de monastère coincé sur une île malmenée par les vagues, et d’un peuple de pêcheurs taiseux aux moeurs mystérieux.
Ce ne sont là que mes coups de coeurs, très personnels, mais le recueil entier est à dévorer. Sont également présentes Morgane Caussarieu, Micky Papoz, Lizzie Felton, Louise Le Bars, Cécile Guillot, et Morgane Stankiewiez.
Depuis les ténèbres
Un souffle frais, un renouveau bienvenue. En tant que fan d’horreur, j’ai été plus que ravi de lire cette anthologie. Enfin des points de vue différents sur un genre encore trop méprisé, et/ou trop genré au masculin. Pas une littérature de femmes ? S’il fallait vraiment un démenti à cette assertion absurde, Nous parlons depuis les ténèbres est une claque dans la gueule de n’importe quel misogyne animé par de telles idioties. Une collection fascinante d’univers sombres qui vous laisseront le coeur battant, le souffle court, l’imagination galopante, à sursauter au moindre bruit et à guetter ces deux yeux rouges qui brillent dans les ténèbres.
Bonne lecture,
Viktor Salamandre
PS: À noter la magnifique couverture dessinée par Anouck Faure, également autrice chez Argyll du superbe roman La Cité diaphane.
Nous parlons depuis les ténèbres, collectif, éditions Goater, 16,90€
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