Avec Trois battements, un silence, Anne Fakhouri livre aux éditions Argyll un conte de fée moderne qui oscille entre deux mondes comme entre violence et douceur. D’une poésie infinie et juste, ce roman décortique aussi le patriarcat et la violence des hommes, à travers une quête d’identité dans un monde impitoyable où des personnages touchants vont devoir se battre pour briser une malédiction millénaire…
Entre deux mondes
Marco Delusi est le dernier né d’une lignée maudite uniquement composée d’hommes violents, à l’exception de son oncle Ray, un rêveur qui lui montre de l’affection et lui apprend tout sur le monde magique auquel il appartient à moitié. Après sa mort, Marco vit en reclu, à l’écart du monde, jusqu’à ce que son fils disparu huit ans plus tôt réapparaisse, et avec lui un danger immense venu du monde des fées. Accompagné par des alliés inattendus, poursuivi par une force mystérieuse, il se lance dans une course contre la montre pour éclairer le mystère qui entoure ses origines, et tenter de briser la malédiction qui frappe sa famille.
Marco est entre deux mondes. Le monde des fées, et le monde des humains. Différent, il ne trouve sa place ni chez les hommes, trop rêveur et délicat, comme son oncle Ray, ni chez les fées, où son coeur arythmique le rend inapte à danser avec les autres. Il reste entre deux, héritier malgré lui d’une malédiction ancestrale, coincé entre deux mondes sans être vraiment de l’un ou de l’autre.
Deux mondes comme ce roman, qui passe constamment de réalité à féérie dans un entre-deux magique et flou, comme un rêve cotonneux, doux et violent, à la fois étrangement familier et inconnu. Anne Fakhouri écrit comme on évoque un souvenir d’enfance. Le temps y est une membrane souple qui tantôt s’étire, tantôt se rétracte, dans une impression d’étourdissement ou d’ivresse, suivant le rythme du coeur de Marco : trois battements, un silence. Un souffle au coeur comme un mystère à résoudre.
La violence des hommes
La malédiction, c’est une lignée d’hommes violents élevés dans la haine des femmes. Une lignée de violence patriarcale, un moule duquel on s’extrait difficilement. L’oncle Ray en fait les frais. Rêveur, connaisseur du monde magique, il est battu parce qu’il danse, exclu parce qu’il accepte et aime la féérie de leur sang, comme une part de féminité qui l’éveille au monde.
C’est comme ça qu’il éduque Marco, l’isolant le plus possible de la violence de son frère et de ses cousins. Il lui donne de l’affection, l’initie à la magie, le pousse à accepter cette part de féérie qui sommeille en lui. Un danseur, lui aussi. Un danseur au coeur arythmique.
C’est là que ce livre féérique transpire d’humanité. Sans fard. L’humanité sans bien ni mal mais dans ce flou moral pétri de contradictions, dans l’indécision constante. L’humanité qui se bat contre des mirages pour des causes parfois obscures, pleine de fierté et de honte, dans un chaos poétique bouillonnant. Vivant.
Un pays de merveilles
Ce livre est un voyage. Une expérience. Et c’est un aller simple : pas question de retourner en arrière. Tout y est si beau. Pas idéal, non, mais beau. La nature y est violente et mystérieuse autant que rassurante, luxuriante et douce. Le temps y est rapide ou lent, suivant votre coeur ou celui de Marco. La vie y est dure, pleine de combats inévitables, d’obstacles à franchir même s’ils paraissent insurmontables. Mais voyez, ce livre nous apprend que c’est pour ça que la vie est belle : on peut se battre pour la changer. Rien n’est une fatalité. Nous ne devons pas accepter une réalité injuste parce que se battre est dur quand on est seul. Alors il faut espérer. Trouver des alliés. Rêver. Accepter sa part de féérie. Et avancer.
Merci, Anne Fakhouri.
Trois battements, un silence, Anne Fakhouri, éditions Argyll, 22,90€
Bonne lecture,
Viktor Salamandre
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