Premier roman prometteur, Le silence des carillons d’Edouard H. Blaes, publié aux éditions ActuSF, nous emmène dans un univers brumeux et sombre entre steampunk et fantasy urbaine avec une touche « dark academia » qui vous fera frissonner les soirs d’orage. Mais au-delà du divertissement addictif et plein d’action, Le silence des carillons explore les zones grises de l’âme humaine, là où se font des choix aux conséquences imprévisibles…

Cachée dans la brume

Isolée dans une brume perpétuelle, harcelée par les Spectres, la ville de Tinkleham vit dans l’ignorance de ce qu’est devenu le monde au-delà de la brume. Ses habitants ont depuis longtemps oublié les causes de cet apocalypse, et s’ils les craignent, ils ignorent ce que sont réellement les terrifiantes créatures qu’ils appellent « Spectres ».

C’est en bordure de cette ville en sursit permanent que vit Ermeline Mainterre, fille d’un ingénieur cherchant à développer l’automobile. Ermeline rêve d’intégrer le Beffroi, édifice monumental autour duquel s’est construit la ville, et centre de formation des mages qui la protègent.

Animée d’une ambition sans faille, Ermeline ne veut pas seulement devenir mage, elle aspire à laisser une trace, marquer les esprits et son époque, être reconnue. Mais face au danger que représente les Spectres et à l’aube d’un grand bouleversement, ses rêves de gloire et de grandeur ne risquent-ils pas de l’aveugler en chemin ?

En équilibre dans les zones grises

Il y a toujours quelque chose de fascinant dans le mystère. Dans ce que l’on ne peut pas voir, atteindre ou connaître. C’est cet ailleurs idéalisé qui nous sort de notre torpeur, c’est ce rêve d’évasion ou de solution clé en main à nos problèmes. Une sorte de fuite confortable dans l’imaginaire. Mais, hé, qui suis-je pour juger ?

Tinkleham est peuplée d’une humanité dont l’univers est contenu dans les frontières de la ville. Le monde derrière la brume est un mystère. Les causes de la brume sont un mystère. La nature des Spectres est un mystère. Ce que cache le Beffroi est un mystère. Dans ce monde brumeux, l’Apocalypse n’a rien du dévoilement biblique : il a tout recouvert, convoqué la peur, provoqué l’oubli, et plongé l’humanité dans le noir.

Et c’est ce mystère qu’Ermeline ne supporte pas. Son ambition, c’est de lever le voile, non seulement découvrir ce que cache la brume, mais aussi apporter la lumière au peuple de Tinkleham. C’est ce qui la mène au Beffroi, lieu idéalisé de ses espoirs et de ses ambitions, pour découvrir un monde dans le monde où des mages présomptueux empilent des univers en bulle pour s’isoler du reste du monde. Dans cet évitement permanent de la réalité, isolés dans une tour de laquelle ils ne sortent plus, les mages fragilisent le délicat édifice qui protège la ville, au point qu’il suffit d’une étincelle, d’une erreur humaine, d’une pulsion, pour que tout s’effondre.

Ermeline elle-même est traversée par ces contradictions : elle doit trouver un équilibre dans son ambition entre l’accomplissement personnel et l’émancipation collective. Loin d’être une héroïne sans faille et sans reproche, Ermeline prend parfois des décisions moralement discutables. À l’image d’Ermeline, Edouard H. Blaes écrit des personnages tout en nuances, qui évoluent dans une zone grise finalement très humaine : personne n’est bon ou mauvais, et des actes aux conséquences funestes peuvent avoir été motivés par de nobles raisons.

Tracer son propre chemin

Le silence des carillons ne répond pas à toutes nos questions. Il nous laisse, dans la brume, éclairer notre propre chemin. Entre l’ignorance et la connaissance, l’ombre ou le dévoilement, le bruit ou le silence, il nous laisse à notre conscience, dans cette zone grise toute en nuance que nous appellerons désormais Tinkleham.

Le silence des carillons, Edouard H. Blaes, éditions ActuSF, 20, 90€

Bonne lecture,

Viktor Salamandre